Arrêt sur scène / Scene Focus
Une revue en ligne bilingue publiée par l’IRCL / A bilingual online journal published by IRCL

N° 02 – 2013  

Scènes de reconnaissance / Recognition Scenes

Dirigé par / Edited by Bénédicte Louvat-Molozay (Université Montpellier 3, IRCL) Franck Salaün (Université Montpellier 3, IRCL) & Nathalie Vienne-Guerrin (Université Montpellier 3, IRCL)

175 pages
Photo © Liz Lauren

Présentation / Presentation

Considérée depuis Aristote comme l’une des parties les plus belles du drame, la reconnaissance théâtrale est généralement placée immédiatement avant le dénouement, qu’elle a précisément pour fonction de déclencher. Si dans les faits l’objet de la reconnaissance correspond majoritairement à l’identité du ou des protagoniste(s), son enjeu peut aussi être l’innocence ou la culpabilité, autrement dit le principe vertueux ou vicieux du comportement des personnages. Sans constituer à proprement parler une nécessité, la scène de reconnaissance semble intéresser toutes les formes théâtrales, la réversibilité générique ou tonale, programmée par le dramaturge ou exprimée par la mise en scène, étant, semble-t-il, l’une des caractéristiques du moment de la reconnaissance et de sa théâtralité exacerbée.

Tout en poursuivant, autour de la reconnaissance, le dialogue entre les théâtres anglais et français du XVIe au XVIIIe siècle, sous l’angle de la réflexion théorique autant que des expérimentations dramatiques, le deuxième numéro de la revue Arrêt sur scène/Scene Focus, fait une large place aux échanges entre les conférences et le plateau, qui sont au principe de la forme « colloque-festival ». Il met ainsi à la disposition de la communauté scientifique aussi bien les textes des communications et des tables rondes que les captations audiovisuelles des spectacles présentés.

Ont collaboré à ce numéro / Contributors : Yan Brailowsky, Jean de Guardia, Tiphaine Karsenti, Bénédicte Louvat-Molozay, David McCallam et Eleanor Hodgson, Florence March, Lise Michel, Marie-Pierre Noël, Françoise Rubellin, Franck Salaün, Magali Soulatges, Yves Thoret, Catherine Treilhou-Balaudé, Nathalie Vienne-Guerrin. Avec la participation de / With the help of : Noëmie Charrié.

Considered since Aristotle as one of the most beautiful parts of drama, recognition generally occurs on stage immediately before the denouement, which it precisely triggers off. If the subject of the recognition concerns more often than not the identity of the protagonist(s), it may also deal with questions of innocence or guilt, that is to say with the virtues or vices that animate the characters. Although it is not strictly a necessity, the recognition scene finds its place in virtually all theatrical forms; generic or tonal reversibility, programmed by the playwright or conveyed by the staging, seems to be characteristic of the moment of recognition and of its powerful dramatic impact.

While pursuing, around the subject of recognition, the dialogue between the English and French theatres from the sixteenth to the eighteenth century, both through theoretical approaches and dramatic experimentation, this second issue of Arrêt sur scène/Scene Focus gives prominence to the interaction between scholarly contributions and hands-on performance research, which is the hallmark of the “Conference-festival” form. Readers and viewers will therefore find in this online issue the papers and transcriptions of the round tables as well as audiovisual recordings of specific theatrical sequences.

Sommaire / Contents

Bénédicte Louvat-Molozay, Franck Salaün et Nathalie Vienne-Guerrin
Prologue : p. 1-6

I. Histoire et enjeux théoriques

Marie-Pierre Noël (Université Paul-Valéry – Montpellier 3)
La reconnaissance d’Oreste et d’Électre chez Eschyle, Sophocle et Euripide : enjeux esthétiques et dramaturgiques : p. 9-25
Bénédicte Louvat-Molozay (Université Paul-Valéry – Montpellier 3)
Frontières et objets de la scène de reconnaissance, d’Aristote à Racine : p. 27-36
Catherine Treilhou-Balaudé (Université Sorbonne nouvelle – Paris 3) 
« Ce jeu n’est plus un jeu, mais une vérité » : effets de reconnaissance de l’acteur baroque : p. 37-48
Yan Brailowsky (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Reconnaissance et « acknowledgment » sur la scène élisabéthaine : p. 49-59
Tiphaine Karsenti (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) 
La reconnaissance d’Œdipe ou les failles de la poétique classique : p. 61-71
Franck Salaün (Université Paul-Valéry – Montpellier 3)
L’invention de la scène de reconnaissance dans le théâtre français du XVIIIe siècle : p. 73-90

II. Dramaturgies

Yves Thoret (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
La reconnaissance (anagnorisis) comme passage dans Le roi Jean, Périclès et Le roi Lear de William Shakespeare : p. 93-108
Florence March (Université Paul-Valéry – Montpellier 3)
La scène de reconnaissance : allégorie politique et métaphore de l’adaptation dans The History of King Lear de Nahum Tate (1681) : p. 109-119
Jean de Guardia (Université Paris-Est – Créteil)
Anatomie de la désinvolture : Molière et la reconnaissance : p. 121-130
Magali Soulatges (Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse)
La reconnaissance comme symptôme de l’impossible représentation de soi dans les tragédies de Crébillon : p. 131-141
Françoise Rubellin (Université de Nantes)
Les scènes de reconnaissance dans le théâtre de Piron : p. 143-154
David McCallam et Eleanor Hodgson (Université de Sheffield)
La reconnaissance agonistique : L’Ile des Esclaves et La Fausse Suivante de Marivaux : p. 155-164

III. Tables rondes

« Scènes de reconnaissance : spectacle et émotions » (première table ronde du colloque-festival animée par Lise Michel) : p. 165-170
« Des mots et des gestes : interpréter la scène de reconnaissance » (seconde table ronde du colloque-festival animée par Catherine Treilhou-Balaudé) : p. 171-175

IV. Scènes

Extraits vidéo des spectacles présentés
Réalisation : DSI Service des usages numériques, Université Paul-Valéry – Montpellier 3
Images : Hamed Benhamed et Fabrice Belmessieri

Cliquer sur les liens ci-dessous pour visionner les vidéos
Les extraits vidéo et les notices descriptives sont accessibles sur la chaîne YouTube de l’IRCL

Catherine Bernard, Brutus (1691), IV, 2
Richard Brome, A Jovial Crew, or the Merry Beggars (1642), V, 1
Pierre Corneille, L’Illusion comique (1635), V, 6
Pierre Corneille, Héraclius (1647), V, 1
Pierre Corneille, Œdipe (1659), III, 5
Pierre Corneille, Œdipe (1659), IV, 4
Thomas Corneille, Timocrate (1656), IV, 7
Crébillon, Électre (1708), IV, 2
George Lillo, The Fatal Curiosity (1737), II, 1
George Lillo, The Fatal Curiosity (1737), II, 2
Marivaux, La Fausse Suivante (1724) – Acte I
Marivaux, La Fausse Suivante (1724) – Acte II
Marivaux, La Fausse Suivante (1724) – Acte III
Molière, L’École des femmes (1662), I, 4
Molière, L’École des femmes (1662), V, 9
Molière, L’Avare (1668), V, 5
Molière, Amphytrion (1668), III, 10
Molière, Le Malade imaginaire (1673), III, 11-14
Racine, Phèdre (1677), V, scène dernière
Rotrou, Le Véritable saint Genest (1644), IV, 7
Rotrou, Venceslas (1647), IV, 5-7
Shakespeare, Twelfth Night (La Nuit des rois) (1601), II, 5
Shakespeare, King Lear (Le roi Lear) (1606), IV, 8
Shakespeare, The Winter’s Tale (Le Conte d’hiver) (1610-1611), V, 3
Voltaire, Zaïre (1732), II, 3

Résumés et notices bio-bibliographiques / Abstracts and bio-biblios

Yan Brailowsky (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)Haut

Reconnaissance et « acknowledgment » sur la scène élisabéthaine

Pour des poètes comme Sir Philip Sidney, en multipliant les invraisemblances, le théâtre élisabéthain est scandaleusement anti-aristotélicien. Pour un spectateur londonien des années 1580-1600, il est déjà difficile de reconnaître le lieu et le temps de l’action représentée d’une scène à l’autre. En revenant sur les différences entre la théorie antique et les pratiques élisabéthaines, nous montrerons les problèmes épistémiques et herméneutiques posés par les « scènes de reconnaissance ». Nous soulignerons également les évolutions entre 1580 et 1620 et entre différents « genres ». En effet, les scènes de reconnaissance dans La Tragédie espagnole ou Richard III ne sont pas celles de La Tempête ou du Conte d’hiver… Tirant alors profit des réflexions du philosophe américain Stanley Cavell sur la (re)connaissance et le théâtre de Shakespeare, on s’interrogera sur les jeux entre connaissance, reconnaissance, méconnaissance et confession dans ces scènes.

Recognition and « acknowledgment » on the Elizabethan stage

For poets like Sir Philip Sidney, the numerous incongruities found in Elizabethan drama fly in the face of Aristotelian theory. London audiences in 1580-1600 would have been hard pressed to recognize the time and place of the action represented on stage from one scene to the next. By comparing Greek theory and Elizabethan practice, this paper highlights the epistemological and hermeneutic issues posed by “recognition scenes”. In so doing, it also underlines the differences between plays and genres from 1580 to 1620 in England, as recognition scenes in The Spanish Tragedy or Richard III differ from those found in The Tempest or The Winter’s Tale… Using Stanley Cavell’s treatment of the notion of acknowledgment in Shakespeare’s plays, this paper finally discusses the interplay between knowledge, acknowledgment, disowning and confession in recognition scenes.

Yan Brailowsky est maître de conférences en littérature et civilisation britanniques de la première modernité à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Après une thèse sur les prophéties dans le théâtre de Shakespeare, il a publié des études sur Le Roi Lear (SEDES, 2008) et Le Conte d’hiver (PUF, 2010), et co-dirigé plusieurs ouvrages sur la littérature et l’histoire à la Renaissance. Alliant l’enseignement et la pratique, il est également comédien professionnel depuis 2007 et a travaillé à Paris Ouest Nanterre La Défense comme assistant à la mise en scène de Sappho de Lawrence Durrell, en compagnie d’étudiants et d’enseignants, dans le cadre d’un colloque sur l’auteur.Yan Brailowsky is lecturer in early modern British history and literature at University Paris Ouest Nanterre La Défense. After working on prophecies in Shakespeare for his PhD, he has published studies on King Lear (SEDES, 2008) and The Winter’s Tale (PUF, 2010), and co-edited several books on literature and history in the Renaissance. In addition to teaching drama, he also performs as a professional actor since 2007. At Paris Ouest Nanterre La Défense, he worked as assistant director for a performance of Sappho by Lawrence Durrell with students and teachers during a conference on the author .

Jean de Guardia (Université de Paris-Est-Créteil)Haut

Anatomie de la désinvolture : Molière et la reconnaissance

Molière a utilisé le dénouement par reconnaissance tout au long de sa carrière. Cet article cherche à en repérer quelques constantes et à esquisser une conception globale de la reconnaissance moliéresque. Il s’agit d’abord de cerner l’effet très particulier qu’elle ne manque pas de produire sur le spectateur : une évidente désinvolture, dont on analyse ici les ingrédients. Molière présente ainsi la reconnaissance comme un procédé usé, un type de scène que l’on peut bâcler en dix vers, sans souci de vraisemblance. Mais si elle est un topos éculé, pourquoi l’utiliser sans cesse ? Il faut chercher à comprendre les fonctions dramaturgiques de la reconnaissance – son utilité technique – et in fine la valeur que Molière lui accorde.

The Anatomy of indifference: Molière’s anagnorisis

Throughout his entire career Molière concluded his plays via a sequence of anagnorisis, a scene of recognition. This article identifies and gives a comprehensive overview of the various scenes of recognition that characterize Molière’s theatrical works. To do so, we must first understand the very distinct effect, one of marked indifference, that this theatrical device is sure to have on its audience, and subsequently analyze the various components of this reaction. Molière presents these moments of anagnorisis as part of an overused approach, the type of scene that an author can dash off in ten lines without a concern for verisimilitude. However, if this sort of sketch is formulaic and overdone, then why does Molière endlessly employ it? We must seek to understand the dramatic utility, the technical usefulness, of these scenes of recognition in order to fully understand the true value that Molière ascribes to this theatrical device.

Jean de Guardia est maître de conférences en littérature française à l’Université Paris-Est-Créteil (Paris 12). Il travaille sur la dramaturgie classique et la théorie du théâtre, et en particulier sur Molière. Il a publié Poétique de Molière. Comédie et répétition (Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », 2007).Jean de Guardia is an associate professor of French literature at the University-Paris-Est-Créteil (Paris 12). His works focus on classical theatre, literary theatrical critique, and he specializes in the works of Molière. He published Poétique de Molière. Comédie et répétition (Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », 2007).

Tiphaine Karsenti (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)Haut

La reconnaissance d’Œdipe ou les failles de la poétique classique

Alors que, depuis la Poétique d’Aristote, l’Œdipe de Sophocle constitue le modèle idéal de la tragédie, un écart se fait jour chez les adaptateurs et traducteurs français des XVIIe et XVIIIe siècles entre leur position théorique et leur pratique dramaturgique. Considérant la reconnaissance d’Œdipe comme la mieux à même de produire l’effet tragique, ils sont pourtant gênés par les invraisemblances de la pièce de Sophocle. Là où les adaptateurs contournent la difficulté en modifiant radicalement l’action de la pièce, les traducteurs usent de stratégies argumentatives pour justifier la cohérence et la perfection de leur source. Dans les deux cas, le traitement de la reconnaissance œdipienne trahit l’impossibilité pour la poétique classique de penser le rapport au savoir d’Œdipe. Mais il révèle également le glissement dramaturgique qui se produit au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, quand le modèle de la vraisemblance laisse progressivement place à une esthétique de l’émotion.

Oedipus’ recognition or the flaws in the poetics of French classicism

Whereas Sophocles’ Oedipus has constituted the ideal model for tragedy since Aristotle’s Poetics, a gap can be noticed between the theoretical position of French adaptors and translators in the 17th and 18th centuries and their dramaturgical practices. Considering Oedipus’ recognition as being the most able to provoke a tragic effect, the lack of verisimilitude in Sophocles’ play still bothers them. While the adaptors circumvent the difficulty by radically modifying the action of the play, the translators use rhetorical strategies to justify the coherence and perfection of their source. In both cases, the way Oedipean recognition is treated shows the impossibility for the poetics of classicism to consider the link between Oedipus and knowledge. But it also reveals the dramaturgical shift that is taking place at the turn of the 17th and 18th centuries, when the model of verisimilitude is progressively being replaced by an aesthetics of emotion.  

Tiphaine Karsenti est maître de conférences en études théâtrales à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Ancienne élève de l’École normale supérieure et agrégée de lettres classiques, elle est l’auteur de La Guerre de Troie dans le théâtre français (1562-1715) (Honoré Champion, 2012). Ses recherches sur le théâtre d’Ancien Régime s’articulent aujourd’hui autour de trois axes : les conceptions de la théâtralité dans les traductions du théâtre grec aux XVIIe et XVIIIe siècles ; les théories de l’effet du théâtre à l’époque moderne ; l’utilisation de la mythologie au théâtre.

Tiphaine Karsenti is associate professor in Performing Arts Studies at the University of Paris Ouest Nanterre La Défense. An alumna of the École normale supérieure and an agrégée in Classical Studies, she published La Guerre de Troie dans le théâtre français (1562-1715) (Honoré Champion, 2012). Her interests and areas of research touch upon three fields: the conceptions of theatricality in the translations of Greek theatre in the 17th and 18th centuries; the theories about the effect of theatre in the modern period; the use of mythology in theatre.

Bénédicte Louvat-Molozay (IRCL – UMR 5186 du CNRS, Université Paul-Valéry – Montpellier 3, IUF)Haut

Frontières et objets de la scène de reconnaissance, d’Aristote à Racine

Alors que la reconnaissance est définie chez Aristote en des termes très larges (« le renversement qui fait passer de l’ignorance à la connaissance, révélant alliance ou hostilité […] ») et que lui-même semble ne pas la limiter à la reconnaissance d’identité (« la reconnaissance peut aussi porter sur le fait qu’un personnage est ou n’est pas l’auteur d’un acte », Poétique, chap. XI), elle semble s’être confondue, au moins dans la mémoire des théoriciens, avec la seule reconnaissance d’identité, sur le modèle d’Œdipe roi ou d’Iphigénie en Tauride. En confrontant quelques textes théoriques européens des XVIe et XVIIIe siècles (commentateurs italiens d’Aristote, Heinsius, La Mesnardière, d’Aubignac et Corneille) et un échantillon de pièces françaises, tous genres confondus, on a cherché à montrer quels sont, en droit et de fait, les objets sur lesquels peut porter la reconnaissance et ce qui différencie, dans son fonctionnement, la scène de reconnaissance d’identité des autres scènes de reconnaissance.

The boundaries and objects of the recognition scene, from Aristotle to Racine

While recognition is defined in very general terms by Aristotle in Poetics as « a change from ignorance to knowledge » (ed. Penguin, 1996, 6.4, p. 18) and while it is not limited to the recognition of identity (« it is also possible to recognize whether someone has or has not performed some action », Poetics…, p. 19), it seems to have been understood, at least by theoreticians, only as the recognition of some person or persons, as in Œdipus Rex or Iphigenia in Taurid. Confronting some European theoretical texts from the xvith and xviith centuries (Italian commentators of Aristotle, Heinsius, La Mesnardière, d’Aubignac and Corneille) with a sample of French plays from all genres, we try to show what are, by rule and in facts, the objects of recognition and what makes the difference between the recognition of some person or persons and other types of recognition scenes.

Maître de conférences en littérature française habilitée à diriger des recherches à l’université Paul- Valéry Montpellier 3, membre de l’IRCL (UMR 5186 CNRS) et de l’Institut universitaire de France, Bénédicte Louvat-Molozay est notamment l’auteur de Théâtre et musique. Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français (1550-1680) (Champion, 2002). Elle a édité, seule ou en collaboration, des textes dramatiques (Rotrou, Mairet, Molière) ou théoriques (Laudun d’Aigaliers, Corneille) du XVIIe siècle et dirigé ou co-dirigé plusieurs volumes collectifs (dont Le Spectateur de théâtre à l’âge classique, L’Entretemps,  2008, avec Franck Salaün).

A senior lecturer in French literature at Université Paul-Valéry Montpellier 3, a member of the IRCL (UMR5186 CNRS) and of the Institut universitaire de France, Bénédicte Louvat-Molozay has published Théâtre et musique. Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français (1550-1680) (Paris, Champion, 2002). She has edited or co-edited several plays (by Rotrou, Mairet, Molière) and theoretical works (by Laudun d’Aigaliers or Corneille), and directed and co-directed several collections of essays (such as Le Spectateur de théâtre à l’âge classique, L’Entretemps, 2008, with Franck Salaün).

Florence March (IRCL – UMR 5186 du CNRS, Université Paul-Valéry – Montpellier 3)Haut

La scène de reconnaissance : allégorie politique et métaphore de l’adaptation dans The History of King Lear de Nahum Tate (1681)

Nahum Tate s’empare de King Lear en 1681, adaptant la pièce aux nouveaux critères esthétiques et au contexte national singulier. La « tatification » de King Lear fait basculer la tragédie du côté de la comédie romantique. Dans la tragédie shakespearienne, Edgar, déguisé, n’est identifié qu’au dernier acte, lors du duel qui l’oppose publiquement à son frère. Tate dédouble le processus de reconnaissance, faisant précéder la scène publique d’une scène intime dans laquelle, à l’acte III, les amants Edgar et Cordelia ôtent leur masque, ouvrant la voie à la justice poétique du dénouement. Ces scènes de reconnaissance cristallisent les stratégies et les enjeux de l’adaptation. Celui qui se révèle, Edgar, est également révélateur du cours de l’histoire, puisqu’il rend à Lear sa dignité et son trône : « Edgar / Has, with himself, reveal’d the King’s blest Restauration ». La restauration de Lear fait écho à celle de Charles II, et le processus de réécriture à la restauration officielle du théâtre. La reconnaissance conduit à la renaissance (« second birth »), sur le plan historique autant que dramatique. « Acte concret par lequel nous ressaisissons le passé dans le présent » selon Bergson, la reconnaissance devient, au-delà de la péripétie dramatique, métaphore de l’adaptation de Tate qui réactive la mémoire de l’hypotexte shakespearien tout en affirmant sa propre autonomie. Si les scènes de reconnaissance permettent l’identification des personnages et du passé historique récent, en revanche elles n’invitent pas tant à identifier des formes dramatiques connues qu’à partir en reconnaissance, pour explorer de nouveaux chantiers esthétiques dans un contexte où le théâtre est appelé à se réinventer.

The recognition scene as a political allegory and a metaphor for adaptation in Nahum Tate’s The History of King Lear (1681)

In 1681, Nahum Tate reconfigures King Lear, adapting Shakespeare’s tragedy to the new aesthetic criteria and national context. Thus “tatified”, King Lear turns into a romantic comedy. Whereas Edgar in disguise is only identified in the last act of the source play, during the public duel opposing him to his brother, Tate duplicates the recognition process, having the public scene preceded by a private scene in act III, in which the lovers Edgar and Cordelia doff their masks, paving the way for poetic justice. Both recognition scenes crystallise the issues and strategies of the adaptation. Edgar turns out to be the agent of a double revelation :  “Edgar / Has, with himself, reveal’d the King’s blest Restauration”. Lear’s restoration echoes Charles II’s, and the rewriting process derives from the restoration of the theatre, a forbidden art during the Interregnum. Tate’s text suggests that a “second birth” is experienced at both historical and dramatic levels. “The concrete process by which we grasp the past in the present” according to philosopher Henri Bergson, recognition is not only a dramatic peripety but a metaphor of Tate’s adaptation, which revives the Shakespearean source text while claiming its autonomy. Whereas recognition scenes allow the identification of the characters and suggest parallels with the recent past, yet they do not so much invite to identify well-known dramatic forms as to explore new aesthetic tracks in the Restoration context in which the theatre must be reinvented.

Florence March est professeur en Théâtre britannique des XVIe et XVIIe siècles à l’université Paul-Valéry Montpellier 3 et membre de l’Institut de Recherche sur la Renaissance, l’Âge classique et les Lumières. À la croisée des études théâtrales et des études anglophones, elle a publié La Comédie anglaise après Shakespeare. Une esthétique de la théâtralité 1660-1710 (Publications de l’Université de Provence, 2010), Relations théâtrales (préface de Georges Banu, L’Entretemps, 2010) et Ludovic Lagarde. Un théâtre pour quoi faire (Les Solitaires Intempestifs, 2010) et a codirigé l’ouvrage Théâtre anglophone. De Shakespeare à Sarah Kane : l’envers du décor (L’Entretemps, 2008). Sa dernière monographie, Shakespeare au Festival d’Avignon. Configurations textuelles et scéniques, 2004-2010, est parue chez L’Entretemps en 2012.

Florence March is professor in English and Performance Studies at the university of Montpellier and a member of the Institute for Research on the Renaissance, the Neo-Classical Age and the Enlightenment (IRCL). Her most recent publications include a monograph on theatricality in Restoration comedy (La Comédie anglaise après Shakespeare. Une esthétique de la théâtralité 1660-1710, 2010), a collection of texts on the pact of performance between stage and audience (Relations théâtrales, 2010) and a book on French stage director Ludovic Lagarde (Ludovic Lagarde. Un théâtre pour quoi faire, 2010). She co-edited Théâtre anglophone. De Shakespeare à Sarah Kane : l’envers du décor (From Shakespeare to Sarah Kane: Behind the Scenes, 2008). Her latest monograph on Shakespeare in performance at the Avignon Festival (Shakespeare au Festival d’Avignon. Configurations textuelles et scéniques, 2004-2010) was published in 2012.

David McCallam (University of Sheffield) et Eleanor Hodgson (University of Sheffield)Haut

La reconnaissance agonistique : L’Île des Esclaves et La Fausse Suivante de Marivaux

À partir des recherches récentes sur la reconnaissance chez Marivaux, cet article fait valoir le versant idéologique de la reconnaissance tel qu’il se manifeste dans deux pièces dites « sociales » de l’auteur. L’Île des Esclaves se veut une utopie où se renversent les ordres sociaux de maître et d’esclave. Mais ses scènes de reconnaissance ne livrent que des réflexions moralisatrices, se refusant à toute interrogation des conditions sociales qui s’y échangent sans être mises en cause. Par contre, La Fausse Suivante, comédie d’apparence plus conventionnelle, met en scène une reconnaissance sociopolitique, ou « agonistique », où les valets sont aussi des acteurs sociaux s’acharnant à faire reconnaître leur valeur « vraie », quitte à déstabiliser la hiérarchie ambiante. Aussi ces deux pièces de Marivaux démontrent-elles à quel point la reconnaissance s’inscrit à la fois dans une tradition dramaturgique classique et dans une certaine philosophie sociopolitique.

David McCallam (University of Sheffield) et Eleanor Hodgson (University of Sheffield)

Agonistic recognition : Marivaux’s L’Île des Esclaves and La Fausse Suivante

Building on existing studies of recognition in Marivaux’s theatre, this article examines closely the ideological implications of recognition scenes, as illustrated by two of the author’s so-called ‘social’ plays. While L’île des Esclaves would appear to offer up a radical reversal of master-slave social categories, its protagonists do little other than swap theatrical roles with no recognition of the antagonistic social conditions that they represent. In contrast, the more conventional comedy, La Fausse Suivante, stages a series of ‘agonistic’ recognition scenes in which members of the lower social orders in particular resort to increasingly unscrupulous and opportunistic means to get their ‘real’ social worth recognized. These two works by Marivaux thus show that recognition scenes simultaneously bring into play classical theatrical practices and prevailing socio-political forces.

David McCallam est maître de conférences au sein du département de français de l’université de Sheffield, Grande-Bretagne. Spécialiste de la littérature et de la culture françaises du XVIIIe siècle, il a publié des études sur Chamfort (2002) et sur Laclos (2008) et travaille aussi sur les sciences de la terre au siècle des Lumières, avec un intérêt particulier pour les volcans et pour les avalanches. Amateur du théâtre francophone, avec Dr Julia Dobson, il anime à Sheffield une troupe de théâtre estudiantine qui monte des pièces françaises, y compris des comédies de Regnard, de Beaumarchais et de Marivaux.David McCallam is reader in French Eighteenth-Century Studies at the University of Sheffield, UK. He is a specialist in the culture and literature of late eighteenth-century France and has published studies on Chamfort (2002) and Laclos (2008) as well as articles on writers such as Montesquieu, Mercier and Sade. He has also published on eighteenth-century earth sciences, particularly in relation to volcanoes and avalanches. At the university of Sheffield, he co-directs with Dr Julia Dobson an amateur Francophone theatre troupe which in recent years has staged plays by eighteenth-century authors such as Regnard, Beaumarchais and Marivaux

Eleanor HodgsonHaut

Eleanor Hodgson, doctorante dans le département de français de l’université de Sheffield, fait partie de la troupe de théâtre du département depuis 2007. Elle a joué dans plusieurs pièces, y compris la représentation de La Fausse Suivante de Marivaux au colloque-festival à Montpellier en 2012. Bien que son doctorat se concentre sur un roman anonyme français du XIIe siècle, son analyse de la transformation et de la réécriture dans ce texte l’a menée à travailler sur la théorie de la reconnaissance, d’où sa contribution à cet article sur la reconnaissance marivaudienne. 

Eleanor Hodgson is a doctoral student in the Department of French at the University of Sheffield, UK. She has acted in French plays, staged by the Department, since 2007, including Marivaux’s La Fausse Suivante performed at the colloquium-festival in Montpellier in 2012. Although her doctoral thesis focuses on an anonymous twelfth-century romance, her research into transformation scenes and the practices of rewriting in the text draw strongly on recognition theory – hence her contribution to the article on Marivaux’s use of recognition scenes in two of his so-called ‘social’ plays.

Marie-Pierre Noël (Université Paul-Valéry – Montpellier 3)Haut

La reconnaissance d’Oreste et d’Électre chez Eschyle, Sophocle et Euripide : enjeux esthétiques et dramaturgiques

Cet article se propose, au-delà de la définition de la « reconnaissance » (anagnorisis) donnée par Aristote au IVe siècle avant J.-C. dans sa Poétique, d’interroger les pratiques et les réflexions théâtrales du siècle précédent, celles d’Eschyle, Sophocle et Euripide. Il étudie plus particulièrement la manière dont les trois Tragiques mettent en scène la reconnaissance d’Oreste par sa sœur Électre, dans les Choéphores (Eschyle) et les deux Électre (Sophocle et Euripide), et analyse les enjeux esthétiques et dramaturgiques qui sous-tendent les différents traitements de cette même scène.

The Recognition of Orestes and Electra in Aeschylus, Sophocles and Euripides : Aesthetic and Dramaturgical Issues

Beyond the definition of “recognition” (anagnorisis) given by Aristotle in the fourth century BC in his Poetics, this paper examines theatrical practices and reflections of the previous century, those of Aeschylus, Sophocles and Euripides, and studies how the three tragedians depict the recognition of Orestes by his sister Electra in The Libation Bearers (Aeschylus) and the two Electra plays (Sophocles and Euripides) and analyzes the different dramaturgical and aesthetic issues underlying the different treatments of the same scene.

Marie-Pierre Noël est ancienne élève de l’École normale supérieure et Professeur(e) de langue et littérature grecques à l’université Paul-Valéry – Montpellier 3 depuis 2000. Elle est directrice de la collection des Cahiers du GITA (consacrée au théâtre antique et à sa réception et Associate Editor de Rhetorica (revue de l’International Society for the History of Rhetoric). Elle travaille notamment sur la figure de l’intellectuel et la constitution des genres à l’époque classique, la persuasion et les formes dramatiques de la parole à Athènes (rhétorique, philosophie, comédie et tragédie).

Marie-Pierre Noël is a former student of the École normale supérieure, Professor of Greek Language and Literature at the University Paul-Valéry – Montpellier 3 since 2000. She is director of the Cahiers du GITA (dedicated to ancient theater and its reception) and Associate Editor of Rhetorica (Journal of the International Society for the History of Rhetoric). Her research interests include the figure of the intellectual and constitution of genres in the classical period, persuasion and dramatic forms of speech in Athens (rhetoric, philosophy, comedy and tragedy).

Françoise Rubellin (Université de Nantes)Haut

Les scènes de reconnaissance dans le théâtre de Piron

Le cas de Piron est intéressant parce qu’il écrit pour tous les théâtres de Paris (à l’exception de l’Opéra) et dans tous les genres. Il commence par parodier les scènes de reconnaissance comme celle de Rhadamiste et Zénobie, de Crébillon, dans Arlequin Deucalion, pièce en monologue de la Foire Saint-Germain de 1722, et celles de Nitétis, de Danchet, dans Colombine Nitétis, pièce pour marionnettes à la Foire Saint-Germain de 1723. Mais il ne se prive pas d’utiliser lui-même, et avec succès, des scènes de reconnaissances dans ses tragédies (Calisthène, 1730, Gustave Wasa, 1733) ; enfin, il en fait un ressort comique efficace dans sa plus célèbre comédie, La Métromanie (1738). Preuve que la scène de reconnaissance peut être reconnue, raillée et dénoncée comme invraisemblable, et cependant continuer à être utilisée dans le genre sérieux et dans la grande comédie en vers.

Recognition scenes in Piron’s plays

The case of Piron is interesting because he wrote for all the theatres of Paris (except for the Opera) and in all genres. He began by parodying recognition scenes such as those of Rhadamistus and Zenobia by Crébillon in Arlequin Deucalion, a play in monologues for the Foire Saint-Germain in 1722, and those of Nitetis by Danchet in Colombine Nitetis, created for puppets at the Foire Saint-Germain in 1723. But he does not hesitate to use himself, successfully, scenes with recognitions in his tragedies (Calisthène, 1730, Gustave Wasa, 1733), and finally, their comic effect appears in his most famous comedy La Métromanie (1738). He demonstrates that recognition scenes can be denounced and mocked as implausible, and yet continue to be used in serious genre and great comedy in verse.

Françoise Rubellin est professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l’université de Nantes. Elle est spécialiste de Marivaux, des théâtres de la Foire, des rapports théâtre et musique, de la parodie d’opéra. Au sein du laboratoire L’AMo, elle dirige le Centre d’Études des Théâtres de la Foire et de la Comédie-Italienne (http://cethefi.org). Derniers ouvrages parus : (dir.) Théâtre de la Foire, Anthologie (Montpellier, Espaces 34, 2005), Lectures de Marivaux (Rennes, PUR, 2009) ; Atys burlesque, parodies de l’opéra de Quinault et Lully à la Foire et à la Comédie-Italienne 1726-1738 (Montpellier, Espaces 34, 2011). Directrice d’un programme ANR sur les parodies d’opéra, elle a créé avec son équipe la base theaville.org (airs de vaudevilles et pièces parodiques).

Françoise Rubellin is professor of Eighteenth-Century French literature at the University of Nantes. She is a specialist of Marivaux’s plays, Parisian Fairground theatres, links between theatre and music, opera parodies. In the laboratory L’AMo, she is director of the research team CETHEFI (Centre d’Études des Théâtres de la Foire et de la Comédie-Italienne ; http://cethefi.org). Latest publications : (ed.) Théâtre de la Foire, Anthologie (Montpellier, Epaces 34, 2005) , Lectures de Marivaux (Rennes, PUR , 2009) ; Atys burlesque, parodies de l’opéra de Quinault et Lully à la Foire et à la Comédie-Italienne 1726-1738 (Montpellier, Espaces 34, 2011). Director of an ANR program on opera parodies, she has created with her team the theaville.org database (vaudevilles tunes and parodies).

Franck Salaün (IRCL-UMR5186 du CNRS, Université Paul-Valéry – Montpellier 3)Haut

L’invention de la scène de reconnaissance dans le théâtre français du XVIIIe siècle

Cette étude s’intéresse à l’évolution de la reconnaissance dans le théâtre français, de Crébillon et Voltaire à Beaumarchais. L’examen de la scène de reconnaissance du Mariage de Figaro (III, 16), et des formes qu’elle parodie, montre qu’une nouvelle conception de la reconnaissance s’est développée au XVIIIe siècle, en particulier grâce aux tragédies de Voltaire, notamment Zaïre et Mérope, et aux comédies de La Chaussée.

The Invention of the scène de reconnaissance (recognition scene) in the eighteenth-century French theatre

This article focuses on the evolution of recognition in the French theatre from Crébillon and Voltaire to Beaumarchais. A Reading of the recognition scene in The Marriage of Figaro (III, 16), and of the forms it parodies, shows that a new kind of recognition developed during the Eighteenth-century with the tragedies written by Voltaire, notably Zaïre and Mérope, and the comedies by La Chaussée.

Franck Salaün est maître de conférences en littérature française du XVIIIe siècle à l’université Paul-Valéry – Montpellier 3. Il a notamment publié L’Ordre des mœurs (Kimé, 1996), Hume. L’identité personnelle (PUF, 2003), L’Autorité du discours (Champion, 2010), Le Genou de Jacques (Hermann, 2010), Les Lumières. Une introduction (PUF, 2011).

Franck Salaün is lecturer at the University Paul-Valéry – Montpellier 3 and a specialist of eighteenth-century French literature. He is the author of several books, among which : L’Ordre des mœurs (Kimé, 1996), Hume. L’identité personnelle (PUF, 2003), L’Autorité du discours (Champion, 2010), Le Genou de Jacques (Hermann, 2010), Les Lumières. Une introduction (PUF, 2011).

Magali Soulatges (Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, IRCL – UMR 5186 du CNRS, Université Paul-Valéry – Montpellier 3)Haut

La reconnaissance comme symptôme de l’impossible représentation de soi dans les tragédies de Crébillon

Le théâtre de Crébillon père, de facture indiscutablement classique, est une dramaturgie de l’identité qui repose en grande partie sur la « reconnaissance », tant comme un principe d’écriture dramatique que comme une source féconde d’effets spectaculaires. Mais employées de manière récurrente voire systématique, les scènes de reconnaissance délivrent aussi, au-delà du procédé mis en œuvre pour s’accorder au goût du public, une leçon « philosophique » sur ce qui fonderait l’identité tragique du personnage, ou plutôt rend impossible son unité et sa cohérence : par la reconnaissance de l’Autre, ce théâtre en effet ne cesse d’expérimenter et d’affirmer que « Moi n’est jamais que provisoire », en s’offrant toujours comme un assemblage précaire et aléatoire de représentations croisées, une construction mentale partagée et non l’expression d’une nature intime, une essence.

Recognition as a symptom of the impossible self-representation in the tragedies of Crébillon

The theatre of Crébillon père, unquestionably classic, is a drama of identity largely based on “recognition” as a principle of dramatic writing and as a fruitful source of spectacular effects. But used as a recurrent, even systematic device, “recognition scenes” also convey, beyond the process that is used to suit the taste of the audience, a “philosophical” lesson on what could consitute the tragic identity of the characters, or rather on what makes it impossible for them to reach unity and coherence. Through the recognition of the Other, theatre indeed keeps experimenting and saying that “The I can only be temporary”, always showing itself as a precarious and random mixture of combined representations, a mental construct that is shared rather than the expression of an intimate nature or an essence.

Magali Soulatges est maître de Conférences à l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, membre de l’IRCL. Sa thèse de doctorat portait sur le théâtre de Crébillon (Crébillon père et la tragédie « à l’antique » : stratégies et enjeux de la Représentation, 2000). Elle travaille sur la tragédie de l’âge classique et les arts du spectacle au XVIIIe siècle ; mais aussi sur l’histoire de la langue et les « français » des XVIIe et XVIIIe siècles, la réception de l’Antiquité, et l’Histoire du livre d’Ancien Régime. Dernier ouvrage paru : (éd.) Prosper Jolyot de Crébillon, Théâtre complet : Tome I, Paris, Classiques Garnier, 2012.

Magali Soulatges, is a lecturer at the University of Avignon and a member of the IRCL. Her doctoral thesis was on Crébillon’s theatre (Crébillon père et la tragédie « à l’antique » : stratégies et enjeux de la Représentation, 2000). She works on the tragedy of the classical age and the performing arts in the eighteenth century, but also on the history of language and of the French varieties of language of the seventeenth and eighteenth centuries, as well as on the reception of antiquity and the history of the book of the Ancien Regime. Latest book: (ed.) Prosper Jolyot Crébillon, Complete Theatre: Volume I, Paris, Classiques Garnier, 2012.

Yves Thoret (Paris-Nanterre)Haut

La reconnaissance (anagnorisis) comme passage dans Le Roi Jean, Périclès et Le Roi Lear de William Shakespeare

Aristote décrivit trois formes de passage dans la reconstruction : cognitive (de l’ignorance à la connaissance), affective (de la haine à l’amour ou l’inverse) et un changement de destin (du malheur au bonheur ou l’inverse). Ces transformations s’illustrent dans les pièces de Shakespeare choisies ici. Menacée par le roi Jean, privée de son royal protecteur, Constance est menée au désespoir et son fils à la mort. Terence Cave (1988) a nommé ce passage un changement de destin. Le roi Lear procède à une auto-interprétation rétrospective de son rejet haineux de Cordélia dans la première scène et il reconstruit avec elle leur relation d’amour. Mais les forces de destruction ont été si vives qu’ils n’échapperont pas à leur destin. Quand Marina rencontre Périclès, plongé dans un deuil mélancolique, son empathie et son intelligence de ce qu’il vit, transforment leur ignorance mutuelle en une découverte de leur histoire et de leur parenté.

Recognition (anagnorisis) as transition in King John, Pericles and King Lear

Aristotle described three types of transformation in the recognition process : cognitive (from ignorance to knowledge), affective (from hate to love or the contrary), and a change of destiny (from misfortune to happiness or the contrary). We may illustrate each one of them in the Shakespearean plays that we have chosen. Threatened by King John, deprived of royal protection, Constance is bound to despair and her son to death. That is what Terence Cave called a “ change of fortune” (1988). King Lear elaborates a self-interpretation of his violent hateful rejection of Cordelia in the first scene and he reconstructs a mutual love relationship with her. But the forces of destruction have been so strong that they will not avoid their tragic destiny. When Pericles, in an endless melancholy mourning process, is met by Marina, her compassion and therapeutic skillfulness transform their mutual ignorance into a new knowledge of the history they share history and of their parentage.

Yves Thoret a été maître de conférences de psychopathologie à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense de 1972 à 2000 avec Didier Anzieu et neuropsychiatre avec une formation analytique. Depuis son doctorat d’état (La théâtralité, étude freudienne, Dunod, 1993), il étudie les pièces de Shakespeare dans une approche clinique et psychanalytique freudienne. Il est membre de la Société Française Shakespeare et de la fondation Psyart. Son article « La princesse Constance dans Le roi Jean de Shakespeare, de la détresse au désespoir » est paru dans Shakespearean Criticism (132, 2010). Il a aussi publié « Hamlet et l’hallucination négative » dans Images du père dans la culture contemporaine, hommages à André Green, Paris, PUF, 2008 et « la relation fraternelle archaïque entre Léontès et Polixénès » dans A sad tale’s best for winter. Approches critiques du Conte d’Hiver de Shakespeare, sous la direction de Y. Brailowsky, A. Crunelle et J.-M. Déprats, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2011.

Yves Thoret was associate professor of psychopathology at the University Paris Ouest Nanterre La Défense  (1972-2000) with Didier Anzieu and he is a neuropsychiatrist with psychoanalytic training. Since his PhD work, “La théâtralité, étude freudienne” (Dunod, 1993 ), he has developed a clinical and psychoanalytic Freudian approach of Shakespeare’s plays, as a member of the French Shakespeare Society, and of the Psyart foundation, with Norman Holland and Murray Schwartz. His article “Princess Constance in Shakespeare’s King John, from distress to despair” was published in Shakespearean Criticism 132, 2010. His article about “Hamlet and the negative hallucination” was published in Images du père dans la culture contemporaine, hommages à André Green (PUF, 2008). Another article, “The archaic brotherly relationship between Leontes and Polixenes” was published in A sad tale’s best for winter. Approches critiques du Conte d’Hiver de Shakespeare, edited by Y. Brailowsky, A. Crunelle and J.-M. Déprats, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2011.

Catherine Treilhou-Balaudé (Université Sorbonne nouvelle – Paris 3)Haut

Théâtre dans le théâtre et reconnaissance : fictions de l’acteur baroque

La pratique baroque du théâtre dans le théâtre, partagée par Shakespeare et les dramaturges français du premier XVIIe siècle, s’accompagne d’une forme particulière de reconnaissance : celle de l’identité propre d’un personnage-acteur à travers le personnage qu’il interprète, mise en œuvre dans des contextes fictionnels et génériques divers, de la tragédie à la comédie de comédien, et notamment par Shakespeare dans Hamlet et A Midsummer Night’s Dream, par Corneille dans l’Illusion comique, par Rotrou dans Le Véritable Saint Genest.

Entraînant la rupture de l’illusion théâtrale pour les spectateurs internes, cette reconnaissance agit différemment sur le spectateur externe, en ébranlant le pacte fictionnel et spectaculaire qui le lie à la scène. Le processus de la reconnaissance est plus tardif et partiel pour le spectateur interne que pour le spectateur externe, lequel en tire un plaisir de compétence. Néanmoins, la conscience qu’il acquiert de l’illusion théâtrale subie par les spectateurs internes n’exclut pas sa propre soumission à une illusion théâtrale paradoxalement renforcée par le dédoublement de l’acteur réel en personnage d’acteur et en personnage de la fiction seconde.

Theatre Within the Theatre and Recognition : Fictions of the Baroque Actor

The baroque practice of theatre within the theatre, shared by Shakespeare and the early 17th century French playwrights, brings with it a particular form of recognition – that of a character-actor’s own identity, this identity being found through the character he’s interpreting and implemented in various fictional and generic contexts – from tragedy to comedy of comedians, especially by Shakespeare in Hamlet and A Midsummer Night’s Dream, Corneille in l’Illusion Comique, and Rotrou in Le Véritable Saint-Genest.

This recognition, bringing about the end of theatrical illusion for internal spectators, affects the external spectator differently, by rattling the fictional and spectacular pact linking him to the stage. The recognition process is more belated and partial for the internal spectator than for the external one, the latter deriving competence pleasure from it. Nevertheless, the awareness he acquires of the theatrical illusion endured by internal spectators does not exclude his own subjection to a theatrical illusion – which is paradoxally strenghtened by the splitting of the real actor into both an actor-character and a second fiction character.

Catherine Treilhou-Balaudé est professeur en Études théâtrales à l’université Sorbonne nouvelle – Paris 3, membre de l’EA 3959, Institut de Recherches en Études Théâtrales. Ses travaux portent sur la réception de Shakespeare en France depuis le Romantisme, sur l’actualisation scénique des classiques, ainsi que sur l’esthétique et la théâtralité baroques. Derniers ouvrages publiés : Le Théâtre dans le théâtre : L’Illusion comique de Corneille (dir.), Paris, CNDP, 2008, Hamlet, énigmes du texte, réponses de la scène (dir.), Paris, CNDP, 2012. Elle prépare actuellement une exposition de costumes shakespeariens au Centre National du Costume de scène (Moulins, Allier) qui sera inaugurée en juin 2014.

Catherine Treilhou-Balaudé is full professor of Drama Studies at the University Sorbonne nouvelle – Paris 3. She belongs to the EA 3959, Institut de Recherches en Études Théâtrales. She works on the reception of Shakespeare in France since Romanticism, on staging classical drama, and on baroque aesthetics. Her latest publications are : Le Théâtre dans le théâtre : L’Illusion comique de Corneille (dir.), Paris, CNDP, 2008; Hamlet, énigmes du texte, réponses de la scène (dir.), Paris, CNDP, 2012. She’s actually working on a Shakespearean costumes exhibition at the Centre National du Costume de scène (Moulins, Allier), that will be inaugurated in June, 2014.