| Projet scientifique de l’IRCL

« Arts vivants, cultures, patrimoines
dans l’Europe de la Renaissance aux Lumières :
généalogies, circulations et enjeux contemporains »

L’IRCL est une Unité Mixte de Recherche (UMR) du CNRS, de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 et du Ministère de la Culture, créée en 2003 par la fusion de plusieurs unités de recherche : l’UMR CERRA (Centre d’études et de recherches sur la Renaissance anglaise), l’UMR CEDIM (Centre d’études du XVIIIe siècle) et l’UR CIRBEL (Centre interdisciplinaire de recherche sur les Iles britanniques et l’Europe des Lumières), rejointes en 2011 par une partie de l’UR MARENBAR (Moyen-Age – Renaissance – Baroque).

L’orientation scientifique générale du laboratoire consiste à analyser la construction et l’émergence de la pensée moderne dans l’aire européenne, entre la Renaissance et la fin du 18e siècle.
Les traits marquants de la pensée moderne identifiés et retenus pour définir des objets d’étude et organiser le travail collectif sont au nombre de quatre :

  • l’autonomisation progressive des cadres de pensée par rapport au religieux ;
  • la persistance des héritages et des traditions issus de l’Antiquité et du Moyen-Age ;
  • le renouvellement des formes esthétiques d’expression ;
  • l’avènement de l’imprimerie et du livre.

A partir de ces caractéristiques de la pensée moderne naissante, l’équipe, constituée d’une quarantaine de chercheurs et enseignants-chercheurs, a défini trois pôles de recherche et deux séminaires transversaux.

Environnements culturels en mutation de la Renaissance aux Lumières

Co-responsables : Linda Gil, Pierre Kapitaniak

Le premier pôle, intitulé Environnements culturels en mutation de la Renaissance aux Lumières regroupe les recherches fondamentales sur les textes et la production intellectuelle et culturelle de la Renaissance aux Lumières, incluant les aspects matériels de cette production (histoire du livre et de l’édition, pratique théâtrale et histoire du spectacle en Europe, ou encore architecture). Les recherches dans le pôle 1 se déclinent selon quatre champs :

1.1 Histoire et culture matérielle du livre et de la lecture

Ce champ réunit des travaux d’édition, des travaux portant sur l’histoire du livre et de la lecture, étudiant les phénomènes de diffusion, de transmission et de réception d’œuvres littéraires de la première modernité. À partir de l’étude génétique des manuscrits, des apports de la bibliographie matérielle et des réseaux de la librairie d’ancien régime, ces travaux donnent lieu à une réflexion sur la génétique éditoriale, sur le passage du texte à l’œuvre et au livre, promoteur d’une histoire des idées en ce que ces livres façonnent l’image des écrivains et sont porteurs d’un discours éditorial.

1.2 Correspondances, biographie et auctorialité

L’édition et l’étude des correspondances sont l’objet d’un deuxième axe, qui permet des travaux sur l’histoire de la littérature et des idées à l’âge classique en Europe, incluant une réflexion sur les nouvelles pratiques éditoriales, et sur les usages et les modalités de la recherche permise par les nouvelles technologies et leur enjeu épistémologique. Ces recherches incluent une réflexion sur l’auctorialité, sur les biographies et sur la construction des images et des discours qui représentent l’écrivain et, plus généralement, les faits littéraires auxquels il est associé.

1.3 Histoire des pratiques théâtrales de Shakespeare à Beaumarchais

Ces recherches consacrées aux textes et aux pratiques dramatiques (domaines français, anglais & lusophone) prennent la forme d’éditions et de traductions de pièces de théâtre et de livrets d’opéra, de recueils d’essais critiques consacrés à des œuvres particulières, de synthèses historiques, incluant les aspects matériels de la pratique théâtrale (costumes, accessoires ou musique de scène).

1.4 Esthétique, théories et histoire des formes artistiques

Les recherches rassemblées dans ce champ étudient l’élaboration, théorique et concrète de formes artistiques complexes, issues de divers domaines artistiques (peinture, gravure, sculpture, architecture, musique) et d’aires géographiques élargies (Italie, France, Pays Bas, Angleterre et pays germaniques.

Transferts et traductions dans l’Europe du XVIe – XVIIIe siècles

Co-responsables : Paula Barros, Rachel Darmon

Le pôle 2 intitulé Transferts et traductions dans l’Europe des XVIe-XVIIIe siècles étudie les différentes formes de circulation, de diffusion et de réappropriation des héritages anciens ou plus récents, ainsi que des expériences, des œuvres et des idées, en France et en Angleterre, et plus largement dans l’aire européenne de la première modernité. Interdisciplinaire, il relève des études littéraires, de la philologie et de la traductologie, mais aussi de l’histoire des représentations esthétiques, religieuses ou politiques, et plus largement de l’histoire culturelle.

Il s’intéresse aux modalités des transferts, transferts intermédiaux, d’un support artistique ou technique à un autre, et transferts culturels d’une aire géographico-linguistique à une autre. Il étudie la circulation des textes et des images, de leurs éditions et traductions, au sein de l’Europe d’une part, et entre Europe et Orient, portant alors une attention particulière aux relations de voyage et aux représentations de l’altérité.

Les tensions entre écriture, traduction, reconfigurations sont au cœur des trois champs qui composent ce pôle. Notre approche critique ne hiérarchise ni les auteurs ni les types de productions, mais vise au contraire à découvrir de nouveaux corpus et à les mettre en dialogue.

Le pôle 2 s’organise en 3 champs.

1 . Héritages antiques et transmédialité

Le champ 1 analyse les enjeux de la transmédialité : il étudie la manière dont la diversité des media de la première modernité adapte les formes, les figures et les genres hérités de l’antiquité gréco-latine.

2 . Sentiments, croyances, expériences : expressions textuelles

Le champ 2 observe ce qui se joue lors du transfert des sentiments, des croyances et des expériences vers le support écrit. Il s’intéresse tout particulièrement aux récits de l’expérience vécue au quotidien et à leur mise en texte.

3 . Transferts géographiques et linguistiques : œuvres en migration

Le champ 3 étudie la circulation des œuvres, des idées et des formes, s’intéressant ainsi à la question de la traduction, de l’adaptation, du plagiat ou de la satire. Il observe les modalités par lesquelles voyagent les représentations, les sensibilités, les savoirs et les concepts, au sein de l’Europe, et entre Europe et Orient.

Dynamiques contemporaines des héritages dans un monde globalisé

Co-responsables : Florence March, Jean-Pierre Schandeler et Patrick Taïeb

Approche générale et objectifs :

Le pôle 3 étudie les formes, la nature et les fonctions des héritages de la première modernité en France, en Grande-Bretagne et plus largement en Europe, aux XXe et XXIe siècles. Nos travaux tentent de répondre à un certain nombre de questions : quelles sont les rémanences de la première modernité dans la pensée, la société et les arts contemporains ? Comment ces rémanences sont-elles travaillées par les dynamiques littéraires, artistiques, culturelles et politiques contemporaines ? De quels types de production, via quels processus d’adaptation, ces héritages sont-ils la source ? Dans quelle mesure les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles permettent-ils de mieux appréhender la période contemporaine et, inversement, quels éclairages nouveaux jetons-nous sur la première modernité ainsi revisitée ?

Champs :

3.1. Shakespeare dans le monde contemporain

2016, année du quadricentenaire de la mort de William Shakespeare, a mis en exergue, s’il en était besoin, la vitalité de son théâtre et la multiplicité des formes d’appropriation qu’il inspire aujourd’hui à travers le monde. Mais de quoi héritons-nous lorsque nous héritons de Shakespeare ? D’un classique ? D’un auteur iconique ? D’un mythe ? D’un fantasme ? D’une marque internationale ? Et comment en héritons-nous ? Le pôle 3 de l’IRCL s’intéresse notamment aux processus de réception et d’appropriation de Shakespeare et de ses contemporains et à leurs différents champs d’application, qu’il s’agisse des industries culturelles et créatives (spectacle vivant, audiovisuel, réalité virtuelle et augmentée), du domaine de l’éducation, du milieu carcéral ou encore de comédiens professionnels en situation de handicap.

La plasticité du théâtre de Shakespeare, véritable laboratoire de pratiques culturelles et artistiques, combinée à sa dimension inclusive en font un vecteur idéal de partage de la connaissance, envisagée comme bien commun. Shakespeare relève selon le metteur en scène Peter Brook du « théâtre immédiat » ou « vivant », catégorie désignant des textes du passé qui catalysent de nouvelles formes, via de nouveaux média, et dont les mots résonnent ici et maintenant, ainsi que du « théâtre nécessaire », au service de la société dans laquelle il s’actualise. À travers les pratiques culturelles et artistiques dérivées de son théâtre, Shakespeare apparaît ainsi comme un facilitateur, qui nous aide à questionner l’époque contemporaine et à imaginer ce que nous voudrions qu’elle soit.

Le programme « Shakespeare en festivals », qui aborde la recherche sur la forme festival en France et en Europe par le prisme du modèle de théâtre populaire hérité de Shakespeare, s’appuie sur une convention de partenariat de recherche avec le festival international de création « Printemps des comédiens » à Montpellier (deuxième festival de théâtre en France en termes de visibilité et de fréquentation) et un accord-cadre avec le Ministère de la Culture pour la période 2021-25. Il se fonde pour partie sur l’exploitation d’archives pour étudier la place et la fonction de Shakespeare dans l’histoire du théâtre populaire en France au XXe siècle, notamment dans les festivals du sud de la France. Il inclut également un volet de recherche collaborative, « Shakespeare et citoyenneté », en partenariat avec six collèges de Montpellier. Ce programme accueille un doctorant co-financé par la région Occitanie et une doctorante CIFRE co-financée par le Printemps des comédiens.

Le programme « Shakespeare à l’écran » se décline en deux volets : la base de données consacrée à Shakespeare à l’écran dans le monde francophone (http://shakscreen.org/) et la collection « Shakespeare on Screen » co-dirigée par Nathalie Vienne-Guerrin et Sarah Hatchuel chez Cambridge University Press. Étudier Shakespeare à l’écran, c’est concentrer son regard sur un âge qui va de la naissance du cinéma, à la fin du XIXe siècle, jusqu’à notre ère numérique. Cette période de plus de 120 ans a fait émerger des formes d’expression et des esthétiques très variées à l’échelle mondiale. Douglas Lanier a montré combien le terme « écran » risquait désormais d’occulter des expériences de visionnage et des matérialités de production très distinctes. Les recherches menées dans ce domaine doivent donc veiller à formuler ces spécificités que l’expression « Shakespeare à l’écran » tendrait à aplatir.

3.2. La globalisation des Lumières

Les problématiques du champ 2 sont liées aux enjeux idéologiques contemporains. Critiquée dès le début du XXe siècle, la fonction émancipatrice de l’universalisme et du rationalisme est aujourd’hui contestée dans les milieux académiques et militants. Dans ce contexte, les travaux de l’équipe s’appuient sur une raison critique savante qui tient à distance les polémiques en les prenant pour objets.

Dans la continuité de l’« Enquête sur la construction des Lumières », de l’« Enquête sur la globalisation des Lumières » et du projet « Lumières actives XXe-XXIe siècles » démarré en 2017 avec le soutien de la MSH-Sud de Montpellier, le projet 2020-25 du champ 2 est bicéphale :

  • Rédaction d’un Atlas international des Lumières

Ce travail s’appuie sur une importante recherche lexicographique qui a pour finalité de constituer une cartographie géopolitique des usages du terme « Lumières ». Il s’agit de marquer les époques de son apparition dans telles langues, les définitions, les contenus philosophiques, politiques ou culturels attachés au terme, la variabilité des périodes désignées par le terme d’un pays à l’autre ou d’un régime politique à l’autre au sein d’une même nation.

  • Traductions d’œuvres des Lumières en contextes politiques

Il s’agit d’analyser les conditions sociales et politiques de la réactivation des Lumières dans le monde contemporain. Bien que le concept ne soit pas unifié, il occupe une place fondamentale dans les représentations collectives (lors d’événements politiques, de conflits, de luttes d’émancipation). Le but du projet est de mieux comprendre la façon dont les concepts généralement associés aux Lumières (droits de l’Homme, universalisme) ont un effet structurant sur les débats et se trouvent réinvestis ou contestés lors de crises aiguës.

3.3. Patrimoines : recherche et création

Le champ 3 interroge différentes disciplines, différents arts et types d’objets patrimoniaux : musique, architecture, peinture, sculpture, jardins, objets du quotidien … pour les réintroduire dans le contexte historique de leur création et les mettre en perspective des grands questionnements contemporains.

Ce champ considère donc le « patrimoine » à la fois comme une sorte d’évidence du passé, mais aussi comme une invention culturelle. Le patrimoine est le terreau de sa propre réitération, et les projets envisagés valorisent tout autant les recherches fondamentales (qui déterminent les socles épistémologiques d’un domaine patrimonial), que les créations contemporaines (qui réinvestissent les œuvres du passé pour en faire resurgir la puissance, la force d’énonciation, voire le caractère vindicatif).

L’on s’attache donc à établir de vastes répertoires d’œuvres patrimoniales, telle la base Dezède d’archives et chronologie des spectacles. « Les Rencontres de Bournazel », qui favorisent la recherche sur la Renaissance in situ, prennent le patrimoine architectural comme argument d’un débat théorique. L’IRCL a inventé en 2012 la formule du « colloque-festival », espace-temps de rencontre et de dialogue entre chercheurs et artistes autour d’un même objet, tiré des corpus dramatiques de la première modernité abordés à l’échelle de la scène ou d’un type de scène. Les colloques-festivals s’adossent le plus souvent à la revue Arrêt sur scène / Scene Focus. Théâtres européens de la Renaissance aux Lumières.

Humanités, médecine, santé

Co-responsables : Sophie Vasset et Jennifer Ruimi

Approche générale et objectifs :

Créé en 2023 à l’IRCL, le champ émergent Humanités, médecine, santé est marqué par une forte interdisciplinarité et une réflexivité critique. Nos travaux œuvrent à promouvoir et à développer l’inscription de l’histoire, des arts et de la littérature de la première modernité dans le champ en plein essor des humanités médicales. Il interroge l’humanisme médical du XVIe siècle et réfléchit aux éclairages que peuvent apporter les œuvres des XVIe – XVIIIe siècles aux réflexions contemporaines sur le soin et la santé.

Ayant émergé dans les années 1990 dans les mondes anglophones pour répondre à une demande pressante d’un besoin de formation éthique, historique et philosophique en médecine, le champ des humanités en santé ou « humanités médicales » s’est d’abord développé dans les facultés de médecine et a permis de nouvelles collaborations interdisciplinaires dans le monde de la recherche. Depuis vingt ans, l’une des principales explorations méthodologiques de ce champ réside justement dans l’interdisciplinarité, qui s’ancre dans une solide expertise disciplinaire, tout en construisant des méthodologies communes. Une telle démarche permet aux humanités en santé de façonner ses propres objets de recherche : ainsi les humanités en santé ne sont pas seulement une thématique (les humanités à propos de la santé) mais un lieu qui redéfinit les thèmes de recherche par les collaborations avec le monde de la santé.

Les recherches dans ce champ émergent s’organisent en trois axes :

1.     Patrimoine médical et patrimonialisation

Adossé à la présence historique d’une faculté de médecine à Montpellier, la plus ancienne encore en activité en Europe et à l’histoire très particulière de la bibliothèque de la faculté de médecine, l’axe 1 s’intéresse à l’étude, la mise en valeur et la vulgarisation du patrimoine médical. Il vise non seulement à explorer la richesse d’un patrimoine local exceptionnel à partir d’étroites collaborations avec les fonds anciens des bibliothèques universitaires et de la médiathèque municipale mais entend également questionner, dans une perspective globale et bien au-delà de l’espace montpelliérain, les processus de patrimonialisation des œuvres écrites dans le champ de la médecine et de la santé.

2.     Circulations, communications, contestations

L’axe « Circulations, communications, contestations » étudie les relations complexes et dynamiques qui se tissent entre les textes médicaux ou scientifiques et les productions artistiques ou littéraires lorsqu’il s’agit de représenter les patients, les soignants, les traitements ou les maladies (et notamment de réfléchir à leurs dénominations). Il s’intéresse à la transmigration des textes et des iconographies (manuscrits/publications – esquisses/dessins/gravures) afin d’explorer les changements qui interviennent au gré des opérations qui jalonnent la publication des textes et des œuvres. Centré sur les phénomènes de circulations, de communications mais aussi de contestations, ce champ œuvre à montrer le bien-fondé d’une approche des textes médicaux depuis le point de vue des arts et des lettres, plutôt que de considérer la production scientifique comme une simple source d’inspiration à laquelle puiseraient les artistes.

3.     Corps, vulnérabilités et éthiques du soin

Le champ 3 explore les enjeux éthiques situés au cœur des relations de soin. Il permet d’interroger les normes, les valeurs autant que les inégalités et les vulnérabilités en matière de santé dans les sociétés de la première Modernité, par le prisme, notamment, de la question du genre (médecine des femmes), des statuts sociaux (médecine des pauvres ; maladies professionnelles), et de la race (médecine coloniale).

L’ensemble des travaux conduits à l’IRCL s’appuie sur des entreprises éditoriales de grande ampleur comme les éditions critiques de la Correspondance générale de La Beaumelle, des Œuvres complètes de Diderot, des Œuvres complètes de D’Alembert.

L’IRCL s’investit également dans les humanités numériques.
Le laboratoire collabore à la base Dezède consacrée à la chronologie des concerts et représentations lyriques et dramatiques dans l’espace national à partir du XVIIIe siècle.

Il produit aussi des ressources en ligne : 
A Dictionary of Shakespeare’s Classical MythologyShakespeare à l’écran dans le monde francophone, Maguelone qui recense le matériel ornemental d’imprimerie, d’ateliers français et européens qui ont imprimé sous de fausses adresses ou sans indication de lieu, et prochainement ‘Les représentations de la France, du français et des Français dans le théâtre anglais de la Renaissance’.

L’IRCL organise de nombreux séminaires de recherche et plusieurs colloques nationaux et internationaux (voir le calendrier et les archives).