Printemps des collégiens 2019-2020 : une édition sous le signe de la pandémie

Un programme du pôle 3 de l’IRCL,
Dynamiques contemporaines des héritages dans un monde globalisé

Retour sur le Printemps des collégiens 2019-2020 : une édition sous le signe de la pandémie Covid-19

Un contexte inédit

Cette 5e saison du Printemps des collégiens a été perturbée par le confinement déclenché le 17 mars 2020, qui a vu se fermer les écoles, collèges et lycées dans toute la France jusqu’au 22 juin 2020.
Cela a bouleversé l’organisation et le rythme du programme « Shakespeare et citoyenneté », que vient couronner chaque année un festival donné par les élèves des six collèges de Montpellier qui en font partie. Le confinement a compliqué la mise en œuvre du projet dans son ensemble : travail sur les textes avec les enseignants ; interventions des chercheurs de l’IRCL ; ateliers de pratique théâtrale menés par des comédiens et financés par le Conseil départemental de l’Hérault. Du fait de l’annulation de l’édition 2020 du Printemps des comédiens, la restitution collective des travaux au domaine d’O, dans le cadre du festival, n’a pas pu avoir lieu.

Festivals et spectacles annulés

Le festival lui-même étant annulé, et les espaces de théâtre fermés, les collégiens n’ont pas pu, comme lors des années précédentes, visiter les lieux : ces journées de découverte, où les élèves sont accueillis sur le site du Printemps des comédiens, leur ouvrent les coulisses du monde du théâtre : espaces, techniques et métiers.
Ce programme se veut aussi une « école du spectateur ». Quelques classes ont pu voir un spectacle dans d’autres lieux avant le confinement, par exemple Pacamambo, de Wajdi Mouawad, mis en scène par Nicolas Fleury, au théâtre Jean Vilar de Montpellier. D’autres ont exprimé le regret de ne pas avoir pu assister à des spectacles comme Ulysse : l’Odyssée, l’Iliade et surtout l’Odyssée (mise en scène de Marie Vidal et Chloé Defachelle), qui devait se tenir à Montpellier le 28 mars, également au théâtre Jean Vilar, et qui a été déprogrammé.

Et pourtant…

Et pourtant, envers et contre tout, les élèves et les enseignants des six collèges, ainsi que les comédiens qui accompagnent ce projet, ont fait preuve de cette résilience qui est sans doute une des qualités que favorise l’expérience théâtrale, et qui a pris un sens tout particulier en cette période. Pour reprendre les propos de Florence March, dans le cadre d’une émission pour Radio PCM, la web radio créée par le Printemps des comédiens à l’annonce du confinement et de l’annulation du festival. :

Un spécialiste du domaine de l’humanitaire définit le processus de résilience qui fait suite à un traumatisme en quatre étapes : survivre, s’adapter, rebondir, se renforcer. Cette incroyable vitalité du théâtre, son pouvoir réparateur, que les crises mettent en exergue, signifient avant tout que le théâtre nous est essentiel. Au même titre que l’eau, le gaz et l’électricité, disait Jean Vilar. Dans notre société laïque, le théâtre reste l’un des seuls lieux où l’on se réunit physiquement pour partager une expérience intellectuelle et émotionnelle. Art du vivre ensemble, du questionnement, de l’engagement, le théâtre est à la base du projet démocratique.

Florence March

Écouter l’émission de Radio PCM sur la résilience.
(La chronique shakespearienne de Florence March commence à 24’15”.)

Opportunément programmée avant le début du confinement, la journée du 3 février a réuni les 150 élèves du projet, leurs enseignants et les comédiens, ainsi que des représentants du Printemps des comédiens et du Conseil départemental de l’Hérault, partenaire du programme, dans les locaux de l’IRCL, sur le site Saint-Charles de l’université Paul-Valéry Montpellier 3. Les élèves et leurs équipes ont été accueillis par les chercheurs impliqués dans le projet, qui ont présenté le théâtre de Shakespeare, à travers des conférences, des extraits de films, et la visite guidée des deux maquettes du Globe conservées à l’IRCL. Les élèves ont aussi participé à des ateliers théâtre organisés par Daniel Yabut, ingénieur de recherche à l’IRCL.
Cette journée a pu favoriser le sentiment d’appartenir à un projet collectif qui a perduré pendant les mois qui ont suivi.

D’autres façons de faire du théâtre à distance

Ces nouveaux modes de partage autour du théâtre ne visent ni à remplacer la mise en présence, ni à modifier la nature profonde du spectacle dit « vivant », mais à permettre de continuer à partager des pratiques culturelles et artistiques, d’habiter l’attente, de donner du sens à l’absence, et au manque qu’elle a engendré.
D’un collège à l’autre, les élèves et les équipes se sont organisés pour conserver du lien à travers Shakespeare, en sus de tout ce qui a été fait pour assurer la continuité pédagogique.
Ce qui importait était l’implication des élèves, leur capacité à se mobiliser, et l’inventivité qu’ils se sont autorisés.

• Sons et images

Pour Jules César, les élèves du collège Fontcarrade ont prêté leurs voix, accompagnées d’effets sonores, à une succession d’images de la Rome antique qui alternent avec des fonds noirs. Des extraits de Shakespeare, en anglais et en français, côtoient des textes de Louis Antoine Léon de Saint-Just et de Victor Hugo sur la République et la citoyenneté.

Du collège des Escholiers nous vient une mise en voix, sous forme d’une mélopée, d’un texte de La Tempête, conventionnellement porté par une voix adulte, « Our revels now are ended », « Nos divertissements sont terminés » (acte IV scène 1, vers 148-158).

Les élèves des collèges Camille Claudel et Simone Veil ont choisi de jouer avec le format numérique pour « adapter, en ondes et en images », leur spectacle sur Macbeth, qu’ils ont intitulé Macbeth Matter. La palette d’effets est riche : visages en mosaïque, dans ce format auquel nous ont habitué les diverses plateformes de visioconférence, effets d’ombre et de lumière, accessoires bricolés (une couronne en papier), quelques secondes d’une forêt bruissante…

• Sous le signe du masque…

Pour les élèves des collèges Croix d’Argent et Clémenceau, la réouverture des établissements en juin a permis d’investir les lieux autrement, et de réexaminer le rapport à l’autre qui est au cœur du jeu théâtral, d’imaginer des « espaces autres », d’autres formats hétérotopiques.

Dans un extrait de la scène 1 de l’acte I de Richard 3, joué par des élèves du collège Croix d’Argent, les gardes qui conduisent Clarence à la Tour de Londres portent des masques de protection. Dans le cadre des règles sanitaires, certes. Mais ce faisant, ils revisitent la tradition théâtrale du masque à la lumière d’une nouvelle réalité du quotidien. Ces gardes « masqués » semblent incarner une rhétorique qu’on associerait à un environnement dystopique, tant elle n’a de cesse de « mettre en garde » contre les risques de contamination.
Le masque devient vecteur de ces allers-retours entre théâtre et vie sociale, trait d’union entre fiction et réalité.

Écouter l’émission de Radio PCM sur le masque.
(La chronique shakespearienne de Florence March commence à 19’25”.)

• … Et de la distanciation physique

En démultipliant Richard en plusieurs personnages, dispersés dans la cour, les élèves du collège Croix d’Argent ont donné du sens à la toile qu’il tisse dans tout le royaume, et dans laquelle il englue ses proies, dès ses premières paroles en tout début de la pièce, « Now is the winter of our discontent » « Ores voici l’hiver de notre déplaisir », (acte I scène 1, vers 1-40).

Le spectacle semble impossible, sans spectateurs, dans la cour vide du collège Clémenceau. On entend uniquement les cigales, et non plus les voix et les rires des élèves. Ce spectacle sera donc sans comédiens. La scène est vide : au centre, une chaise vide, tournant le dos à ce qui ressemble à un guichet de théâtre – ou à un théâtre de marionnettes. À chacun d’imaginer. Trois collégiens présentent une synthèse de la première scène d’un Roi Lear qui n’aura pas lieu – une approche qui rejoint en quelque sorte le projet de Radio PCM.

Retours sur cette édition

• Côté collégiens

Dans un entretien, trois élèves du collège Clémenceau reviennent sur ce que cette édition « confinement » du Printemps leur a apporté. Ils renouent avec les notions de citoyenneté qui sous-tendent l’ensemble du projet, évoquent le travail en groupe malgré le confinement, la manière dont ce projet a changé leur regard sur les autres – des valeurs qui ont pris un sens renouvelé pendant la période de pandémie.
Et, malgré le regret de ne pas avoir pu jouer devant un grand public, au Domaine d’O, leur conclusion reste résiliente : « c’était quand même un beau projet ».

• Côté Rectorat : Frédéric Miquel

Frédéric Miquel revient sur cette édition hors normes du Printemps des collégiens, sur ces médiations pédagogiques inventées avec les élèves, qui explorent plusieurs voies et qui livrent « une belle moisson » malgré la tempête.
Frédéric Miquel est Inspecteur d’académie-Inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) au rectorat de l’académie de Montpellier, où il est responsable académique des domaines Français langue étrangère, Théâtre et expression dramatique, création littéraire contemporaine. Il est également membre associé à l’IRCL. Le rectorat de l’académie de Montpellier est partenaire du programme « Printemps des collégiens : Shakespeare et citoyenneté ».

Les collèges

  • Collèges Camille Claudel et Simone Veil : Macbeth Matter
    Classes de 4ème – section internationale d’anglais
    Professeur d’anglais : Maggie Domon
    Comédiens : Claire Engel et Stéfan Delon
  • Collège Clémenceau : King Lear
    Classe de 3ème
    Professeur d’anglais : Isabelle Lalan
    Professeur d’histoire et d’éducation civique : Eric Courly
    Comédien : Didier Lagana
  • Collège Croix d’Argent : Richard III
    Classe de 3ème
    Professeur d’anglais : Louis-Laurent Montaldo
    Professeur de lettres : Muriel Bihr
    Comédienne : Sandrine Clémançon
  • Collège Fontcarrade : Jules César
    Classe de 3ème
    Professeur d’anglais : Cécile Galibert
    Professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique : Michaël Delafosse
    Comédienne : Claire Engel
  • Collège Les Escholiers : La Tempête
    Classe de 3ème
    Professeur d’anglais : Mireille Resseguier
    Professeur de lettres : Nadia Debeuré
    Comédienne : Marie Vires

Co-porteurs du projet
Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (UMR 5186 Université Paul-Valéry Montpellier 3 / CNRS) : www.ircl.cnrs.fr
Festival Printemps des comédiens : www.printempsdescomediens.com/

Les partenaires
Conseil départemental de l’Hérault : herault.fr
Rectorat de l’académie de Montpellier : ac-montpellier.fr

Les responsables scientifiques
Florence March, professeur des universités, département d’Études anglophones, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre de l’IRCL.
Janice Valls-Russell, ingénieur de recherche au CNRS rattachée à l’IRCL.