Arrêt sur scène
Une revue en ligne bilingue publiée par l’IRCL

N° 01 – 2012  

Pyrame & Thisbé : la mort des amants

Dirigé par Bénédicte Louvat-Molozay (Université Montpellier 3, IRCL) & Janice Valls-Russell (CNRS, IRCL)

156 pages
Photo © Nathaniel Baruch

Présentation

Conçue déjà par Ovide, au livre IV des Métamorphoses, comme une véritable scène, la mort de Pyrame et Thisbé a fait l’objet de multiples adaptations littéraires et représentations picturales, tant sont grandes la singularité et la puissance pathétique de cette double mort causée par une tragique méprise. Dans l’histoire des réécritures modernes du sujet, deux œuvres se sont imposées comme majeures, au point de contraindre les adaptateurs postérieurs à une confrontation avec elles autant qu’avec l’hypotexte ovidien : la pièce enchâssée du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare et Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau. Le sujet semble même, chez Shakespeare, réduit à la scène de la mort ou, plus justement, à sa parodie ; chez Théophile, la mort des amants nourrit une longue séquence, qui marquera durablement ses contemporains. C’est donc autour de ces deux colonnes que s’est bâti ce numéro d’Arrêt sur Scène/Scene Focus, dans des perspectives quelque peu distinctes : la pièce de Théophile de Viau ayant, d’une part, été moins étudiée que celle de Shakespeare et ayant, d’autre part, connu un regain d’intérêt grâce à la mise en scène de Benjamin Lazar (2011) qui fut à l’origine de la conception de ce numéro, il a semblé nécessaire d’élargir l’analyse à l’ensemble de l’œuvre, à son contexte de création et à sa réception ; la séquence de la mort des amants chez Shakespeare est, de son côté, étudiée par comparaison avec le sujet de Roméo et Juliette et à partir de quelques-unes de ses mises en scène, dont certaines font écho à des représentations picturales.

Ont collaboré à ce numéro : Sandrine Blondet, Fabien Cavaillé, Nicoleta Cinpoes, Bénédicte Louvat-Molozay, Florence March, Lise Michel, Dominique Moncond’huy, Pierre Pasquier, Michèle Rosellini et Janice Valls-Russell. Avec la participation de : Jodie Blin et Noëmie Charrié.

Sommaire

Bénédicte Louvat-Molozay et Janice Valls-Russell (IRCL, Université de Montpellier 3)
Prologue

I. Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau

Fabien Cavaillé (Université de Caen – Basse Normandie)
Singularité de Pyrame ? Théophile face aux tragédies d’amour françaises (1600-1620)
Pierre Pasquier (Université de Tours)
Une scénographie exceptionnelle pour une tragédie atypique : réflexions sur le décor des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile dans le Mémoire de Mahelot
Illustration
Michèle Rosellini (E.N.S. de Lyon)
Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé : paradoxes d’un théâtre tragique épicurien ?
Sandrine Blondet (Université de Chambéry)
Le Pyrame du sieur de La Serre : hommage ou opportunisme ?

II. De Pyrame et Thisbé à Pyrame et Thisbé

Lise Michel (Université de Lausanne)
Le passé présent : le « temps » de Pyrame et Thisbé dans l’imaginaire critique du XVIIe siècle
Bénédicte Louvat-Molozay (Université de Montpellier 3)
La postérité de la mort de Pyrame et Thisbé dans le théâtre français des XVIIe et XVIIIe siècles
Dominique Moncond’huy (Université de Poitiers)
Les représentations picturales du triste sort de Pyrame et Thisbé : attendus et enjeux du sujet

III. Autour de Shakespeare

Janice Valls-Russell (IRCL-UMR5186 du CNRS)
Des murs de Pompéi aux planches de Stratford : la mise en corps de la mort de Pyrame et Thisbé
Florence March (Université de Montpellier 3)
Pyrame et Thisbé revisité par Shakespeare et Vilar dans Le Songe d’une nuit d’été: le théâtre populaire en abyme
Nicoleta Cinpoes (University of Worcester)
Pyramus and Thisbe 4 You or a « Wondrous Strange » Tale of Contemporary Romanian Shakespeare

Épilogue

Table ronde avec Benjamin Lazar et Anne-Guersande Ledoux autour de la mise en scène de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau par B. Lazar (transcription et annotation par Noëmie Charrié)

Compte-rendus de spectacles

Bibliographie

Résumés et notices bio-bibliographiques

Sandrine BlondetHaut

Le Pyrame du sieur de La Serre : hommage ou opportunisme ?

L’étude se propose de prendre pour objet le Pyrame et Thisbé que Puget de La Serre composa à la suite de Théophile. Malgré les apparences, ces deux pièces n’entrent pas officiellement en rivalité : d’une part, elles sont publiées à six ans de distance (1623 et 1629) ; de l’autre, la mort de Théophile au milieu de cet écart temporel, le 25 septembre 1626, exclut la possibilité d’une concurrence frontale entre les deux dramaturges. De fait, l’Avis au Lecteur présente explicitement l’ouvrage de Puget comme un hommage à son devancier. À cela s’ajoute la qualité médiocre de cette première tragédie, qui semble se contenter de transposer en prose le Pyrame de Théophile. Dès lors, la pièce de Puget de La Serre résulterait moins d’un coup d’essai prometteur que de la mise en œuvre d’une stratégie proprement carriériste, celle de profiter de l’aura d’un illustre prédécesseur pour tenter de se faire un nom. Sans relever de la concurrence dramatique proprement dite, la pièce de Puget de La Serre en mettrait toutefois en jeu les rouages les plus usuels.

Après des études de lettres et de musicologie menées à la Sorbonne et au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, Sandrine Blondet a consacré sa thèse de doctorat, sous la direction de Georges Forestier, aux pièces rivales des théâtres parisiens du XVIIe siècle, et plus largement à la concurrence que se livrèrent les compagnies de l’Hôtel de Bourgogne, du Marais et de l’Illustre Théâtre entre 1630 et 1650. Actuellement post-doctorante attachée au projet ANR « Les Idées du Théâtre », que dirige Marc Vuillermoz (Université de Savoie), elle prépare en parallèle la publication de ce doctorat, participe à l’édition du théâtre d’Alexandre Hardy, et s’apprête à réaliser celle de la production tragicomique de Nicolas Desfontaines.

Fabien Cavaillé (Université de Caen-Basse Normandie)Haut

Singularité de Pyrame ? Théophile face aux tragédies d’amour françaises (1600-1620)

Cet article réexamine l’idée selon laquelle la pièce de Théophile serait un hapax dans le théâtre français du premier tiers du XVIIe siècle. Pourtant, la production tragique de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècles est marquée par un mouvement de fond, qui promeut le sujet amoureux, l’aventure romanesque, le malheur des innocents et la pitié. Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé relèvent de ce courant sentimental dont elles sont un des exemples les plus aboutis. Il convient d’observer l’unique tragédie du poète à la lumière de ce corpus. La singularité de Pyrame et Thisbé se relativise alors moins qu’elle ne se déplace : si la plupart des inventions dramatiques de Théophile existent déjà ailleurs, la pièce porte cependant la marque de son auteur et semble participer d’une image de soi que construit le second tome des Œuvres du sieur Théophile.

Ancien élève de l’ENS et agrégé de lettres, Fabien Cavaillé est maître de conférences au département des Arts du spectacle de l’Université de Caen—Basse Normandie. Après une thèse sur l’œuvre d’Alexandre Hardy (Alexandre Hardy et le théâtre de ville français, à paraître chez Garnier), il collabore à l’édition des cinq tomes du Théâtre d’Alexandre Hardy, parisien, publié chez Garnier. Ses travaux portent, d’une part, sur les relations entre spectacles et villes à la période moderne et, d’autre part, le développement de nouvelles formes de sentimentalité autour de la tragi-comédie et de la tragédie à sujet amoureux.

Nicoleta Cinpoes (University of Worcester, UK)Haut

Pyramus and Thisbe 4 You, ou une histoire « merveilleusement étrange » de Shakespeare dans la Roumanie contemporaine

Comme l’indique le titre ludique de cette création, Pyramus and Thisbe 4 You, mis en scène par Alexandru Dabija au théâtre de l’Odéon de Bucarest, invite le public à démythifier à la fois des mises en scène roumaines récentes et le potentiel dramatique contemporain du théâtre shakespearien. L’étude de cette mise en scène reconstitue le contexte culturel local auquel s’adosse cette mise en scène tout en le déconstruisant en engageant un dialogue avec le rapport du monde du théâtre roumain à Shakespeare. Est abordée la « Prise 1 », version jouée intégralement par des comédiennes reconnues de l’Odéon, en renvoyant au théâtre élisabéthain, où seuls des hommes étaient autorisés sur les planches, et au Lear, joué exclusivement par des femmes, mis en scène par Andrei Serban au Bulandra en 2008. La « Prise 2 » use d’un « procédé ancien » (V.1.50), une séance entre un enseignant et des étudiants de l’Académie du théâtre et du cinéma : elle est mise en regard à la fois avec le jargon « plus étrange que vrai » (V.1.2) de la critique et ses « théories de perception et de réception », et l’approche hi-tech qui a dominé les mises en scène roumaines dans la première décennie du XXIe siècle. La « Prise 3 », qui évoque le discours politique sur la discrimination ethnique, peut se lire comme une « satire vive et critique » (V.1.54) tant de la censure communiste que de la montée récente du nationalisme en Roumanie. La « Prise 4 », lecture-improvisation « froide » jouée par l’équipe de techniciens (les « artisans » de cette mise en scène), s’assimile à un « jeu de toute évidence grossier » (V.1.376) sur le travail de l’acteur et les attentes du public. Je cherche ainsi à démontrer que cette mise en scène de Dabija dépasse le contexte et les coutumes locales, pour inviter à une réévaluation du capital culturel shakespearien dans la Roumanie (européenne) et plus largement en Europe, en dénonçant les pratiques tyranniques des études shakespeariennes : depuis la traduction et l’adaptation, en passant par la mise en scène et le jeu des acteurs, jusqu’au rôle du spectateur et du critique de théâtre.

Nicoleta Cinpoes est maître de conférences à l’Université de Worcester, où elle enseigne la littérature de la Renaissance anglaise, à la fois dans son contexte d’origine et dans les adaptations contemporaines ; elle est co-directrice du Early Modern Research Group (groupe de recherche sur la première modernité) de Worcester. Elle est l’auteur de Shakespeare’s Hamlet in Romania 1778-2008: A Study in Translation, Performance and Cultural Appropriation (Mellen, 2010) et du site en accès libre The Jacobethans (Elizabethan and Jacobean Drama) de l’Université de Warwick. Elle a publié des articles et des chapitres dans Shakespeare Bulletin, SEDERI, Studia Dramatica, ainsi que dans plusieurs ouvrages collectifs, dont, plus récemment, The Hamlet Zone, Theatrical Blends et Shakespeare in Europe: History and Memory. Elle a également exercé différentes fonctions au théâtre : dramaturge, assistante metteur en scène, traductrice. Elle prépare actuellement un ouvrage collectif sur Thomas Kyd, Doing Kyd (Manchester University Press, à paraître), et collabore à une nouvelle traduction roumaine des Œuvres complètes de Shakespeare, signant des introductions à Hamlet (2010), Titus Andronicus et La Comédie des erreurs.

Bénédicte Louvat-MolozayHaut

La postérité de la mort de Pyrame et Thisbé dans le théâtre français des XVIIe et XVIIIe siècles

Le succès durable des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau est, au moins en partie, le succès d’un dispositif particulièrement pathétique : celui-là même qui est mis en œuvre au cinquième acte de la pièce et fait se succéder deux représentations, en miroir, de la mort d’amour. C’est au double devenir de cette séquence qu’est consacrée l’étude, qui piste tout d’abord l’histoire du motif de la mort des amants tel qu’il est mis en œuvre, après Pyrame et Thisbé, dans la pastorale et surtout la tragédie des années 1620 et 1630, puis celle de l’appropriation, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècles, de la séquence de la mort des protagonistes dans les différentes adaptations, théâtrales (tragédie avec Pradon, parodies composées par les Italiens ou les Forains) et opératiques (la tragédie en musique de La Serre), du sujet de Pyrame et Thisbé. Au-delà de la postérité du modèle que constitue, très vite, la pièce de Théophile, il s’agit donc de mettre en évidence les invariants mais aussi les écueils, propres à chaque genre comme à chaque époque, de la séquence de la mort de Pyrame et Thisbé.

Maître de conférences en littérature française habilitée à diriger des recherches à l’université Paul Valéry-Montpellier 3, membre de l’Institut universitaire de France, Bénédicte Louvat-Molozay travaille sur le théâtre français du XVIIe siècle. Elle a publié plusieurs ouvrages (notamment Théâtre et musique. Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français (1550-1680), Champion, 2002 ; Le Théâtre, GF-Corpus, 2007), et une quarantaine d’articles. Elle a également édité, seule ou en collaboration, une dizaine de textes dramatiques (Rotrou, Mairet, Molière) ou théoriques (les Discours de Corneille, en collaboration avec Marc Escola, GF-Dossier, 1999) de la période et dirigé ou co-dirigé plusieurs volumes collectifs (dont Le Spectateur de théâtre à l’âge classique, L’Entretemps,  2008, avec Franck Salaün). Elle vient de terminer un essai sur l’élaboration du modèle tragique français entre 1610 et 1642 ; elle dirige ou co-dirige enfin plusieurs programmes de recherche à l’IRCL, parmi lesquels le programme « Arrêt sur scène/Scene Focus » (avec Nathalie Vienne-Guerrin) et « Textes hybrides : les contacts entre français et occitan dans le théâtre du XVIIe siècle ».

Florence MarchHaut

Pyrame et Thisbé revisité par Shakespeare et Vilar dans Le Songe d’une nuit d’été : le théâtre populaire en abyme

Lorsqu’il crée le Festival d’Avignon en 1947, Jean Vilar a déjà en tête de mettre en scène Le Songe d’une nuit d’été dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. La comédie est particulièrement appropriée à sa volonté de promouvoir la dimension festive d’un théâtre de plein air, partagé par un public nombreux et le plus diversifié possible. Ce n’est que lors de la treizième édition, en 1959, qu’il concrétise son projet, au moment où se pose de manière aiguë pour lui la question du renouvellement du théâtre populaire en Avignon, dont il veut éviter à tout prix qu’il ne devienne traditionnel. La dimension métathéâtrale du Songe shakespearien, qui donne à voir les répétitions et la représentation de Pyrame et Thisbé par une troupe de comédiens amateurs et démonte les mécanismes de l’illusion, prend tout son sens dans le contexte de la réflexion menée par Vilar. D’une part la mise en scène de la pièce enchâssée, qui traverse le Songe tel un fil rouge, fait écho par bien des aspects à la vision et la pratique du théâtre populaire selon Vilar : le souci du spectateur, l’humilité des artisans qui évoque le refus de la starisation par celui qui, vêtu de son éternel bleu de travail, se disait régisseur plutôt que metteur en scène, la diversité des classes sociales réunies pour partager la fête théâtrale… D’autre part, la mise en scène parodique de la tragédie enchâssée véhicule à la fois la volonté de Vilar de promouvoir un théâtre de questionnement, et son regard critique, sans complaisance, lors de cette édition du Festival qui marque selon lui un tournant de l’histoire du théâtre populaire en Avignon.

Florence March est professeur de Littérature anglaise des XVIe et XVIIe siècles à l’Université Paul Valéry—Montpellier 3 et membre de l’IRCL (UMR5186 du CNRS). À la croisée des études théâtrales et des études anglophones, elle a publié Shakespeare au Festival d’Avignon. Configurations textuelles et scéniques, 2004-2010 (L’Entretemps, 2012), Ludovic Lagarde. Un théâtre pour quoi faire (Les Solitaires Intempestifs, 2010), La Comédie anglaise après Shakespeare. Une esthétique de la théâtralité 1660-1710 (Publications de l’Université de Provence, 2010) et Relations théâtrales (préface de G. Banu, L’Entretemps, 2010). Elle a également codirigé l’ouvrage Théâtre anglophone. De Shakespeare à Sarah Kane : l’envers du décor (L’Entretemps, 2008).

Lise MichelHaut

Le passé présent : le « temps » de Pyrame et Thisbé dans l’imaginaire critique du XVIIe siècle

Dans le discours critique du XVIIe siècle, la tragédie de Pyrame et Thisbé est sans cesse sollicitée dans un rapport ambigu au temps littéraire. Mobilisée comme un élément structurant de l’imaginaire critique, elle semble toujours appartenir au présent de la littérature. Cependant, elle est très tôt reconnue et même construite par ce même discours comme structure surannée. On propose ici quelques pistes pour comprendre pourquoi l’œuvre de Théophile a fait l’objet de cette tension entre actualité et passé du goût dramatique. Pyrame et Thisbé se révèle en réalité susceptible de donner à penser une forme singulière de continuité avec le passé et d’incarner une autre possibilité toujours actualisée de l’histoire littéraire.

Lise Michel, ancienne élève de l’ENS, agrégée de lettres classiques, est professeure assistante à l’Université de Lausanne. Ses recherches portent sur le théâtre de l’époque classique. Elle a publié plusieurs articles sur des questions de poétique dramatique, coédité deux recueils (La Reconnaissance sur la scène française, APU, 2006 ; La Scène et la coulisse dans le théâtre du XVIIe siècle en France, PUPS, 2011) et participé à l’édition des Œuvres complètes de Molière dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (2010). Son ouvrage Des Princes en figure. Politique et invention tragique (1630-1650) est sous presse (PUPS, 2013).

Dominique Moncond’huy (Université de Poitiers)Haut

Les représentations picturales du triste sort de Pyrame et Thisbé : attendus et enjeux du sujet

Comment la fable de Pyrame et Thisbé a-t-elle été représentée ? Quels problèmes posait-elle et quelles solutions les artistes ont-ils choisi de mettre en œuvre ? En interrogeant donc la question du sujet de la représentation, on dégagera ses traits spécifiques, liés au narratif et débouchant inévitablement, ou quasiment, sur une lecture symbolique, qui dépasse les seuls amants. On en viendra à aborder le problème du genre (théâtral et pictural) et, de ce fait, la perception de la fable elle-même à la Renaissance et au début de l’Age classique – en passant par la représentation offerte par Poussin. La démarche adoptée ne relèvera donc pas exactement de l’histoire de l’art : elle ambitionne plutôt de mettre en perspective le sujet par l’image qui en était offerte – et d’offrir ce faisant quelques éléments de compréhension de la fable par ce que l’image nous en dit.

Dominique Moncond’huy enseigne la Littérature française du XVIIe siècle à l’Université de Poitiers. Il a d’abord travaillé sur la tragédie des années 1630 et 1640, donnant notamment des éditions critiques de Scudéry et de Rotrou, dirigeant un numéro de Littératures classiques sur Du Ryer, ou encore publiant sur Mairet ou Cyrano. Il s’est aussi intéressé à d’autres aspects du théâtre grave du XVIIe siècle, par exemple en co-dirigeant, avec Bénédicte Louvat-Molozay, un numéro de La Licorne sur « Racine poète ». Son intérêt pour Scudéry (pour son Cabinet comme pour ses Femmes illustres) l’a amené à s’intéresser à la peinture, au phénomène de la galerie et des collections, mais aussi à l’analyse de tableaux (pratique qui a débouché sur la participation à un ouvrage collectif : L’Art pris au mot ou comment lire les tableaux…, Paris, Gallimard, 2007, en collaboration avec Alain Jaubert, Valérie Lagier et Henri Scepi). Dans le prolongement de ce parcours, il consacre désormais une part importante de ses activités de recherche aux cabinets de curiosités ; il codirige le site Curiositas, qui leur est consacré.

Pierre Pasquier (Université de Tours)Haut

Une scénographie exceptionnelle pour une tragédie atypique : réflexions sur le décor des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile dans le Mémoire de Mahelot

L’étude du croquis scénographique relatif à Pyrame et Thisbé conservé dans le Mémoire de Mahelot, registre technique à l’usage des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, permet d’apprécier la spécificité de ce dessin par rapport aux autres et de comprendre dans quelle mesure le décorateur de la Troupe Royale a conçu un décor répondant aux singularités que  la pièce présentait dans le champ théâtral français des années 1620 et 1630.

Pierre Pasquier travaille sur la théorie théâtrale aux XVIe et XVIIe siècles, l’histoire des techniques de la représentation dramatique et l’architecture théâtrale au XVIIe siècle, le théâtre de dévotion au XVIIe siècle. Il a publié plusieurs éditions critiques : Le Véritable Saint Genest de Rotrou (Théâtre complet, t. 4, STFM, 2001), Le martyre de la glorieuse vierge sainte Reine de Claude Ternet (in Tragédies et récits de martyre en France [fin XVIe – début XVIIe siècle], Garnier, 2009), le Mémoire de Mahelot (Champion, 2005). Pierre Pasquier a publié aussi deux ouvrages : La Mimèsis dramatique au XVIIe siècle, histoire d’une réflexion (Klincksieck, 1995) et La représentation théâtrale au XVIIe siècle : conditions et techniques, livre collectif co-dirigé avec Anne Surgers (Armand Colin, 2011). Il prépare actuellement deux éditions critiques : celle de Polyeucte martyr, à paraître dans la nouvelle édition du Théâtre de Corneille dirigée par Liliane Picciola chez Garnier, et celle du Saint Eustache martyr, à paraître dans l’édition du Théâtre de Baro dirigée par Bénédicte Louvat-Molozay chez Garnier.

Michèle Rosellini (ENS de Lyon)Haut

Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé : paradoxes d’un théâtre tragique épicurien ?

Théophile de Viau met en œuvre dans sa tragédie la thèse qu’il a énoncée dans La Satire Première sous la formule « suivre la nature » : aimer, se livrer sans retenue à la passion amoureuse est l’application la plus évidente de ce programme philosophique. Le poète paraît par là réactualiser l’épicurisme antique, ce qui lui a valu d’être qualifié d’« épicurien » – donc d’athée, grave incrimination – par les juges du Parlement qui ont instruit son procès. Or, outre son implication dans la critique de l’absolutisme monarchique, c’est là un épicurisme pour le moins troublé, voire contrarié, puisqu’il ne vise plus la tranquillité de l’âme, mais au contraire son bouleversement, qui est éveil à la « vie » véritable. Du moins cette déviation philosophique soutient-elle une dramaturgie dynamique, qui fait de l’unique pièce imprimée de Théophile une véritable tragédie, bien antérieure à la refondation du genre.

Michèle Rosellini est maître de conférences à l’ENS de Lyon. Elle enseigne la littérature française du XVIIe siècle. Ses travaux de recherche portent d’une part sur la lecture et, de l’autre, sur les œuvres des auteurs libertins dans leurs rapports avec la morale et la censure. Elle a publié un ouvrage sur les Œuvres poétiques de Théophile de Viau (Editions Atlande, coll. « Clefs-Concours-Lettres », 2008), et plusieurs articles sur divers aspects de la vie et de l’œuvre du poète, notamment « Écrire de sa prison : l’expérience carcérale de Théophile de Viau » (Écriture et prison au début de l’âge moderne, Jean-Pierre Cavaillé (dir.),Cahier du Centre de Recherches historiques (EHESS-CNRS) 39, avril 2007, p. 17-38) et « Du saint au poète, la puissance du nom “Théophile” » (dans Gueux, frondeurs, libertins, utopiens : autres et ailleurs du XVIIe siècle. Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Ronzeaud, Philippe Chométy et Sylvie Requemora-Gros (dir.), Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2013).

Janice Valls-RussellHaut

Des murs de Pompéi aux planches de Stratford-upon-Avon : la mise en corps de la mort de Pyrame et Thisbé

L’article de Janice Valls-Russell met en regard la scène de la mort des amants dans les deux pièces de Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été et Roméo et Juliette, en utilisant une approche méthodologique croisée qui permet de faire affleurer une proximité entre les rhétoriques du tragique et du comique. La façon dont le mythe était travaillé à l’époque élisabéthaine, dans le contexte plus large de la Renaissance, avec ses procédés d’imitation, d’appropriation et de détournement, est décodée à partir de l’étude des éléments de transmission du mythe ovidien dans lesquels Shakespeare a puisé. Les appropriations iconographiques du mythe, contemporaines de Shakespeare, illustrent la grande plasticité de cette scène. Les éléments textuels et visuels réunis sont porteurs d’intuitions sur le transfert à la scène, lui-même étudié dans des mises en scène du XXe siècle, qui usent de procédés de bricolage que n’eussent pas renié les artisans du Songe et les troupes de théâtre élisabéthaines. Ces aller-retour mettent en évidence les éléments structurants du mythe, qui traversent les époques, les genres et les formes artistiques. La permanence et le renouvellement du matériau mythologique sont interrogés dans cette scène de mort qui s’est à son tour élevée au stade de mythe avec la tragédie de Roméo et Juliette, et des adaptations filmées comme celles de Baz Luhrmann ou de Franco Zeffirelli, qui ont fortement marqué des générations de jeunes publics.

Janice Valls-Russell est ingénieur d’études au CNRS (IRCL-UMR5186). Elle est l’auteur notamment d’une thèse et de divers articles sur le mythe de Pyrame et Thisbé dans la Renaissance anglaise, ainsi que d’une édition et traduction d’une réécriture d’OthelloHarlem Duet de Djanet Sears (Presses universitaires du Mirail, 2012). Responsable éditoriale et des rubriques recensions de la revue Cahiers Élisabéthains, elle assure la coordination et la mise en œuvre du projet en ligne A Dictionary of Shakespeare’s Classical Mythology.